La semaine de travail de quatre jours gagne du terrain en Europe

Rédigé le 12/07/2022


Par Neïla Beyler

Publié le 11 juin 2022 à 9:00 : 

La Grande-Bretagne expérimente une semaine de travail écourtée, en assurant la même productivité, sans perte de salaire. L'Espagne démarre aussi un programme pilote. En Lituanie, l'expérience concerne les fonctionnaires ayant des enfants de moins de 3 ans. Cet engouement s'explique par la nécessité de fidéliser et d'attirer les talents pour des entreprises qui peinent à recruter.

Travailler moins pour gagner… la même chose. Depuis que le télétravail s'est installé dans le monde de l'entreprise post-Covid, un autre mode d'organisation gagne du terrain : la semaine de travail de quatre jours. Son principe ? Amputer une semaine ordinaire d'une journée, sans compenser sur les quatre autres jours, et sans changements sur sa fiche de paie.

Les pionniers en la matière sont les Islandais. C'est en 2015 que ce petit pays d'Europe du Nord a lancé une vaste étude sur quatre ans : 2.500 salariés sont alors passés à un temps de travail de 40 à 35 ou 36 heures, sans aucune contrepartie financière. Selon les analystes qui ont épluché les données générées par cet essai, cela a stimulé la productivité et le bien-être des salariés concernés, qui ont fait part d'un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle.

Par la suite, les syndicats islandais ont négocié la généralisation de ce dispositif. Quelque 86 % de la population active islandaise bénéficient désormais de réductions d'heures de travail ou de contrats plus flexibles, permettant de demander une réduction de temps de travail.

Caroline Diard, enseignante-chercheure en management et Droit à l'ESC Amiens, le confirme : « C'est un formidable outil de fidélisation, de motivation et d'attractivité, alors que les entreprises peinent à recruter - mais justement, il ne faut pas que l'entreprise doive embaucher davantage pour compenser, sinon elle ne va pas s'y retrouver. »

Elle tempère toutefois les aspects positifs : « Les salariés peuvent subir un effet de halo : avec l'euphorie du début, ils peuvent se montrer plus impliqués, plus productifs, mais est-ce que cela n'a pas tendance à s'effriter ? A voir sur le long terme… »

L'Islande n'est pas un cas isolé. Le Royaume-Uni, lui aussi, a pris le train en marche. Depuis lundi 6 juin, et pour les six prochains mois, 3.300 salariés volontaires, issus de plus de 70 entreprises, tous secteurs confondus, travailleront 80 % de leur temps de travail habituel, en assurant la même productivité, et pour le même salaire.

Ce programme pilote, le plus vaste au monde d'après « The Guardian », a été organisé par plusieurs universités, dont Oxford, Cambridge et Boston College aux Etats-Unis, en collaboration avec les think tanks Autonomy et 4 Day Week Global. Les résultats, qui mesureront les effets sur la productivité et la qualité de vie, seront annoncés en 2023.

Le principe est souvent celui du volontariat et la plupart des expériences se font au niveau local pour commencer. C'est le cas de la région de Valence, où l'Etat s'est engagé, après une négociation avec les syndicats, à hauteur de 10 millions d'euros de dotations aux entreprises qui sauteront le pas.

A ce stade, environ 160 entreprises et plus de 3.000 salariés sont concernés, selon la presse spécialisée, et l'initiative est « en cours de déploiement ».

Travailler moins de jours, mais pas travailler moins

La semaine de quatre jours, pour les administrations qui l'ont adopté, est aussi une manière pour le service public d'être compétitif face aux entreprises du secteur privé, plus généreuses en matière de rémunérations. En Lituanie par exemple, les employés du secteur public ayant des enfants de moins de trois ans auront le droit de travailler 32 heures par semaine (contre 40 d'ordinaire), sans aucune coupe dans leur salaire, et ce dès l'année prochaine.

Ce dispositif a aussi pour vocation de corriger l'écart significatif de salaire entre les hommes et les femmes qui persiste, alors que les études ont tendance à prouver que cet écart se creuse lorsque les femmes ont des enfants.

Mais travailler moins de jours chaque semaine, ne signifie pas toujours travailler moins tout court. La Belgique a ainsi lancé une expérimentation pour permettre aux employés qui le souhaitent de travailler neuf heures et demie sur quatre jours, au lieu de huit heures sur cinq - loin donc de la réduction prônée chez les voisins.

La logique de souplesse est même poussée un cran plus loin, avec la possibilité de travailler « un peu plus une semaine et un peu moins la suivante, ce qui offre une certaine souplesse aux personnes en situation de coparentalité », selon le gouvernement. Le projet, qui doit à présent être soumis aux partenaires sociaux pour avis, puis au Parlement pour validation, entend à la fois tirer les leçons des nouveaux modes de travail qui ont éclos durant la pandémie et permettre à la Belgique d'améliorer son taux d'emploi qui est de 71 % aujourd'hui.

Qu'en est-il en France ? Une vaste enquête sur le rythme de travail menée dans plusieurs pays du monde par ADP, et dont les résultats ont été publiés en mai, indique que plus de six Français sur dix seraient prêts à adopter la semaine de quatre jours. Près d'un salarié sur trois serait même prêt à accepter une baisse de salaire. A confirmer.

Source : Les ECHOS