L'augmentation de 3,7 % sur un an en moyenne du salaire mensuel de base au troisième trimestre ne couvre pas la hausse des prix. Les primes et l'intéressement constituent une solution de court terme, selon les économistes.
Face à l'envolée des prix, il y a d'abord eu la revalorisation de 3,5 % du point d'indice des fonctionnaires en juillet. La semaine dernière, la direction des recherches du ministère du Travail (Dares) a dévoilé les chiffres pour les salariés du secteur du privé. Au troisième trimestre 2022, le salaire mensuel de base (SMB) a progressé de 3,7 % sur un an en moyenne. Soit une accélération de 0,6 point par rapport aux trois mois précédents.
« Du jamais-vu depuis le début des années 2000. Jusqu'ici, la hausse maximale constatée avait été de 3 % en 2007-2008 », rappelle Eric Heyer, de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Cependant, avec une inflation à 5,7 % sur un an en septembre - et attendue à 5,3 % en moyenne cette année par l'exécutif -, le compte n'y est pas pour la plupart des salariés. « Sur un an et en euros constants, le SMB diminue de 2 % », souligne la Dares. Les salaires, hors prime, augmentent moins vite que les prix et avec retard.
Tableau contrasté
Le tableau est en réalité contrasté. Les salariés payés au SMIC évitent une perte de pouvoir d'achat, leur rémunération étant indexée sur l'inflation (la formule de revalorisation a même conduit à une hausse un peu supérieure). De leur côté, les ouvriers et les employés sont mieux lotis que la moyenne, avec une hausse de leur salaire mensuel qui grimpe à +4,4 % et +4,5 %.
« La diffusion de la hausse du SMIC est plus forte sur les plus bas salaires, mais elle s'affaiblit très vite dès qu'on s'en éloigne », explique Eric Heyer. Et ceux qui vivent dans des grandes villes tirent mieux leur épingle du jeu.Ainsi, en septembre, les prix ont augmenté de 5,4 % pour les ménages ouvriers et employés vivant en milieu urbain, soit 0,3 % de moins que pour l'ensemble de la population selon l'Insee.
Quant aux professions intermédiaires et aux cadres, ils ont vu leur salaire moyen grimper de seulement 2,7 % sur un an. La rémunération des cadres est toutefois souvent complétée par une part variable. Selon une étude de l'Insee, ils subissent une inflation « plus faible que la moyenne » de la population du fait du poids moindre de l'énergie dans leur budget.
Devant le décalage entre les prix et les salaires, le sentiment général est toutefois celui d'une détérioration du niveau de vie. D'où la montée des tensions et des revendications en faveur du retour de l'indexation des salaires sur les prix supprimée par le gouvernement Mauroy en 1983. Lors de son interview sur France 2 le 26 octobre, Emmanuel Macron a fermé la porte à ce scénario susceptible de déclencher une « boucle prix salaire » et donc d'attiser l'inflation en France. Et de conduire à des faillites en cascade.
Des inconvénients pour les salariés et pour l'Etat
L'exécutif mise sur les primes, la participation et l'intéressement pour atténuer le choc pour les salariés sans alourdir la masse salariale. « Plus de 700.000 salariés ont bénéficié depuis cet été de la nouvelle version de la prime Macron, pour au total 520 millions d'euros », a annoncé la semaine dernière le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.
Pour Gilbert Cette, professeur d'économie à Neoma Business School, « ces instruments présentent toutefois deux inconvénients : l'un pour les salariés puisqu'ils n'ouvrent pas de droits - à la retraite par exemple -, l'autre pour l'Etat puisqu'ils ne sont pas soumis à cotisations sociales. » Si ces dispositifs assurent une souplesse d'adaptation aux entreprises, leur utilisation ne peut donc être envisagée que « de façon transitoire », selon Eric Heyer. « Mais le choc sur le pouvoir d'achat des salariés risque d'être violent, alerte-t-il. Même si l'inflation retombe, les prix vont rester élevés. Lorsque la prime et les aides de l'Etat auront disparu, on verra que le niveau des salaires est resté très bas ».
« Il est nécessaire que les salaires rattrapent un peu l'inflation », a également estimé mardi sur France Culture Eric Monnet, professeur à la Paris School of Economics. « L'exécutif a limité l'impact de l'inflation sur le revenu des ménages avec un bouclier tarifaire et en encourageant les primes. A court terme, cela a eu un effet […] mais à moyen terme, cela ne peut pas suffire car les prix ne vont pas redescendre ».
Face à une inflation qui dure, les négociations annuelles obligatoires (NAO) pour 2023 s'annoncent tendues. « Il faut s'attendre à ce que la hausse des salaires, hors primes, en glissement annuel se poursuive et dépasse 4 % cette année, ce qui va alimenter l'augmentation des coûts et donc à nouveau des prix de l'an prochain, avec un risque de boucle prix salaires », avertit Gilbert Cette. Tout dépendra du rapport de force entre salariés et entreprises dans un contexte où les difficultés de recrutement perdurent mais où les coûts de production explosent et l'économie française ralentit fortement.
Source : Les Echos